10.12.04

For Ken Lum:

"The mirror is an utopia as much as it is a place without a place. In the mirror I see myself where I am not: in an unreal space which appears virtually behind the surface; I am there where I am not, a kind of shadow that endows me with my own visibility, shows me where I am absent. But the mirror sends me back to the place I am actually occupying; from the mirror I discover myself to be absent in the place where I am, as I see myself there".

8.12.04

Raymond Depardon

En quarante ans de carrière, l'auteur a souvent mêlé, en photographie comme au cinéma, souci documentaire et préoccupations intimes. Il vient de tourner le deuxième volet de son film sur le monde rural.

Il a passé l'année 2004 en trombe : six nouveaux livres, deux expositions, un film en salles. Sans compter la sortie en DVD de six de ses précédents documentaires. Déjà difficilement classable - il brasse du texte, de la photographie et du cinéma, passe de la fiction au reportage -, Raymond Depardon est devenu une usine à produire des images.

On le croit à Rio ou à Tokyo, il est à Paris mais repart bientôt sur les routes de France. Il s'apprête également à présenter, début 2005, le deuxième volet de son film sur le monde rural. Bien sûr, cet éclectisme n'est qu'apparent. On retrouve toujours chez lui les mêmes obsessions : la lumière, la justice, l'errance, les déserts, la peur de l'enfermement, la politique saisie et bousculée par l'image.

Après quarante ans de métier, sa curiosité semble intacte. Elle a été aiguisée par sa formation : photojournaliste dès l'âge de 17 ans, fondateur puis directeur de l'agence Gamma et, enfin, coopté par ses confrères de l'agence Magnum. De son origine paysanne, il a gardé la fascination et un certain refus de la ville, une timidité qu'il dissimule sous des sourires aimables et des flots de parole. Un coup d'œil incisif porté sur les gens et aussi une sorte de roublardise. C'est avant tout un solitaire, un instinctif, un sensitif qui, dans le domaine de la création, privilégie l'émotion plutôt que l'intelligence. Ce qui le range du côté de Proust, contre Sainte-Beuve.

Cela ne suffit pas à expliquer cette boulimie, cet activisme forcené. Pourquoi tant de livres d'un coup ? "Il ne s'agit pas de recycler de vieilles images. Mais je fais partie de cette génération qui a plus de quarante ans d'expérience. A l'époque, on ne bouclait pas un projet, on le mettait de côté, jusqu'à la rétrospective - toujours différée. Aujourd'hui, les photographes veulent aller jusqu'au bout, explorer toutes les possibilités de leur travail, jusqu'à l'exposition et au livre. Dans mon cas, j'avais accumulé du retard, des travaux parallèles s'étaient croisés avec d'autres activités. En 2004, j'ai fait le ménage. Maintenant j'ai l'impression de n'avoir plus rien derrière moi. Cela me rend plus libre pour avancer à nouveau."

Avancer, cela veut dire répondre à la commande. Car le gros volume Paris Journal, qui vient de sortir, est né d'une proposition des éditions Hazan ; c'est la Fondation Cartier qui l'a expédié filmer des villes aux quatre coins du monde pour les besoins de l'exposition "7 ? 3", présentée boulevard Raspail ; et c'est le ministère de la culture qui le relance, début 2005, sur les routes de France. "Les trois quarts de mes travaux sont issus de commandes, admet Raymond Depardon. Elles ont l'avantage de me sortir de moi, de bousculer mes priorités, de me faire découvrir des choses nouvelles, de m'éviter les idées préconçues, de me replonger dans le réel, de pouvoir rester aux aguets. Même la publicité m'a appris à travailler. D'ailleurs, j'ai du mal à boucler les sujets qui me sont personnels et qui n'existent qu'à l'état de fragments - les paysans, les déserts. S'ils étaient achevés, j'aurais l'impression d'être mort. Finalement, seule la pression économique de la production cinématographique m'oblige à terminer mes films."

Comment passer de l'image fixe au cinéma ? "Il y a un côté un peu schizophrène - pas désagréable - dans ce va-et vient. Passer d'un sujet à l'autre, d'une forme à l'autre, me permet de relativiser les choses. D'ailleurs, je n'ai jamais vraiment choisi. J'ai longtemps été un photographe professionnel et un cinéaste ponctuel." Si le cinéma semble avoir aujourd'hui sa préférence, Raymond Depardon considère pourtant qu'Errance (Le Seuil, 2000), texte et photos, marque pour lui une vraie coupure. Notes (Arfuyen, 1979), où il avait introduit la subjectivité du photographe, et La Ferme du Garet(Carré/Actes Sud, 1996), une sorte d'autobiographie, ont également été des tournants. Mais, avec Errance, il a simplifié, dépouillé à l'extrême son propos, évacué l'anecdote.


ÊTRE "SIMPLE ET LISIBLE"


"Je suis assez primaire, assez naïf. J'ai besoin de comprendre ce que je vois. Je travaille toujours au premier degré - l'image et le son sont tellement complexes, tellement riches. Même si je suis sensible à l'élégance des choses, j'estime que la photographie doit être simple, lisible. Mon seul but est de mettre de l'ordre dans le réel. Et l'expérience me permet d'y arriver. Aujourd'hui, je travaille de plus en plus vite et je fais confiance à la rapidité de mon regard. Car la photo, ce n'est pas parler aux gens, c'est quelque chose d'instinctif. Avant de déclencher, l'image est déjà fabriquée dans ma tête. Pour moi, la nouveauté, c'est que je peux faire de petits films de quelques minutes, de petits visuels sans commentaires et des photos au 20 ? 25 qui diront qui je suis."

Pour cet ancien paparazzi, ce ne sont plus les prémices de la chasse qui comptent. "Dans les photos, je me méfie de l'événement, et dans les films, de l'intrigue." Seule l'image compte : "Quand on est dans le Sahel, ce n'est pas notre trouble, notre colère qui est importante, c'est l'image qui apparaît : elle vient contredire notre première impression. Car il y a un décalage entre ce qu'on ressent immédiatement et le résultat."

Raymond Depardon poursuit sa carrière en solo, refusant même d'enseigner. Aujourd'hui, la soixantaine dépassée, il s'approche de l'ère des bilans : "Je m'aperçois que j'ai encore beaucoup de choses à faire. Retourner sur des lieux que j'ai fréquentés, cela me permet de me confronter avec le temps. En 1984, j'avais été fasciné par la ville d'Harar, en Ethiopie. Elle était pour moi la synthèse de l'Orient. Je l'avais photographiée avec un Leica. J'y suis revenu dix ans plus tard avec le même éblouissement. Mon retour ici, en 2004, a été très différent. J'avais un autre appareil et j'étais moins dans l'orientalisme. Ce sont les traces de la modernité urbaine qui m'ont intéressé. Cela m'a réconforté : j'avais avancé dans ma quête du lieu acceptable."

On a souvent reproché au photographe de mêler ses soucis intimes à ses reportages. "Pour regarder les autres, il faut tourner la caméra vers soi-même. J'ai suffisamment dit qui j'étais pour pouvoir filmer les autres." Il se dégage de ses propos une sorte de mélancolie voilée : "Je suis parti pour photographier le général de Gaulle, Brigitte Bardot, et j'ai raté mon père. Mais ce détour m'a permis de filmer le monde rural, que tout le monde disait disparu. Ma trilogie entamée avec Profils paysans n'est pas un document critique, c'est sûr. Je veux seulement saisir ce monde qui va basculer dans l'oubli, rendre un dernier hommage à mes parents paysans. Ici, je ne suis plus cinéaste. Quand je filme sans éclairage, avec juste un preneur de son, je travaille presque avec un sentiment de honte de ne pas avoir été paysan, de faire un métier pas très sérieux. En réalité, je réalise une sorte d'autoportrait de ce que j'aurais pu être."

Emmanuel de Roux

"La photographie est autonome"

"Je reste formaté par mon passé de journaliste. Pourtant, j'ai fini par comprendre que la photographie ne relève ni du journalisme ni de l'art. Elle est autonome. Même si, selon les époques et les intérêts de chacun, elle est tiraillée entre l'un et l'autre. Bien sûr, il est facile de distinguer photo de presse et photo d'art, bien sûr un photographe peut faire du journalisme. Il ne sera pas journaliste pour autant.

Il est vrai, en revanche, que le photographe est proche de l'artiste, par son côté angoissé, anxiogène : il accouche d'un seul coup de quelque chose qui va le représenter. J'ai d'ailleurs beaucoup appris du milieu de l'art. Grâce à lui, mon travail a pris un autre sens, cela m'a libéré. Les cimaises me font encore un peu peur. Je préfère l'intimité d'un livre ou celle de la projection d'un film dans l'obscurité. Ainsi, j'ai l'impression de diriger le spectateur, d'avoir du pouvoir sur lui.

On dit qu'il est plus facile de filmer que de photographier, qu'il suffit de faire tourner la pellicule. Pourtant, même des scènes statiques dans un tribunal, celles de 10e Chambre par exemple, sont très difficiles à capter. Il faut une longue attente, une énorme concentration, pour saisir l'expression d'un homme qui apprend soudain sa condamnation à une peine de prison.

Cette rencontre entre une émotion violente et moi, je n'ai réussi à l'enregistrer qu'une seule fois. Et ce n'était pas un hasard. Mon geste n'a duré que quelques secondes. Mais je l'ai préparé pendant plusieurs mois. Car il fallait que je sois en embuscade, au bon moment, au bon endroit, avec du bon matériel. Et une embuscade, comme le piano, cela doit se travailler tout le temps."

Biographie

1942
Naissance à Villefranche-sur-Saône (Rhône).

1958
Arrivée à Paris.

1980
Tournage de "Reporter".

1987
Mariage avec Claudine Nougaret.

2000
Exposition "Errance" à la Maison européenne de la photographie.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU MONDE DU 08.12.04

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3246,36-389961,0.html